-Tu as fait tes cartes de vœux cette année?
-Non, avec le temps je m'aperçois que cela ne sert pas à grand chose.
-Eh bien dis-donc, je ne te savais pas aussi pessimiste.
-Ce n'est pas de la morosité mais de l'observation. Il y a un an, comme d'habitude, on s'est embrassés aux douze coups de minuit en se souhaitant mutuellement joie, bonheur, réussite et inévitablement bonne santé.
-C'est quand même une bonne tradition, non?
-Peut-être, mais quand on voit ce qu'on a vécu depuis douze mois, on se dit que tous ces souhaits, plus sincères les uns que les autres, auront été d'un rare inefficacité. C'est l'horreur et non le bonheur qui nous aura réunis au-delà de toute attente. L'année aura été trop brève pour permettre un début d'assimilation de ce qui nous a été asséné. Nous sommes encore titubant devant l'inacceptable, l'incompréhensible. Chaque jour nous apporte sa petite info complémentaire sur des enquêtes épiées par les médias sur les événements de janvier et de novembre. On en est a nous concocter des dossiers récapitulatifs, des tables rondes pour faire le point, des analyses forcément savantes sur la montée de ces intégrismes dans notre pays et leur traduction dans des gestes absurdes, dans une barbarie démesurée.
-On ne peut tour de même pas demander à chacun de faire une croix sur tout cela?
-Bien sur que non. Tout comme on ne pourra jamais oublier cette année 2015. Elle restera comme une gigantesque plaie suintant pour toujours sur notre Histoire contemporaine. Elle s'ajoute, se mêle et se superpose à l'histoire de chacun d'entre nous. Quel que puisse être notre éloignement des victimes, des survivants, de leurs proches, nous conserverons la mémoire de détails intimes de nos existences fixés par le révélateur de l'horreur absolue, impensable, imposée par le pire de ce qu'a pu engendrer la folie de l'homme.
-C'est vrai. Quelque part, on se sent tous coupables de n'avoir pu rien faire d'autre que d'être d'impuissants témoins. Comme après chaque drame, des voix s'élèvent pour crier "Plus jamais ça" puis on tend le dos en attendant la prochaine catastrophe. Mais, que faire d'autre sinon se souhaiter mutuellement un peu plus de quiétude pour l'avenir?
-Je n'ai pas plus de réponse que toi. Ce que je crois, c'est qu'il faut donner un peu de temps à la douleur pour qu'elle s'atténue. Il n'est nul besoin, ainsi que je viens d'en voir l'annonce à la télé, que des Pujadas expliquent qu'ils vont refaire l'histoire du 7 janvier 2105. S'ils savaient combien les natifs de cette date considèrent maintenant leur jour anniversaire au travers d'un drôle de prisme. Que va-t-il changer en reprenant d'anciens reportages agrémentés de nouveaux commentaires? J'ai peur qu'on manque de pudeur en faisant de cette date un fond de commerce. Ce jour-là, comme tous les '7 janvier', j'ai pris une année supplémentaire sans grande envie de la fêter. Je suis seulement devenu capricorne ascendant Charlie.
-C'est une coïncidence malheureuse qui ne t'empêches pas de prendre encore un an de plus. Tu ferais mieux de sortir les bouteilles et les glaçons.
-Çà, bien entendu on va le faire, mais sans oublier 2015 espérer que 2016 sera pour nous tous moins boulimique de scènes d'horreur et, au plus près de mon quotidien, moins friande de passages dans les cimetières où le milieu hospitalier. Il y a des moments où même l'humour ne peut plus grand chose face à ces overdoses.
Tous mes vœux à ceux qui me font l'amitié de venir, quelquefois visiter ce blog, y compris à mes plus fidèles détracteurs car je continuerai à être pour eux une épaule sur laquelle ils pourront s'épancher sans retenue.