vendredi 11 septembre 2015

La bicyclette de Mohamed

   

     La tempête médiatique qui a secoué si fort le loudunais à la mi-juin n'en finit pas de jouer les prolongations. Les drames liés à l'exode nous interpellent au premier chef depuis que l'Etat à fait de notre ville un havre providentiel pour quelques personnes.

     Et puis, il a fallu que le drame vécu par des milliers d'anonymes prenne les traits d'un tout jeune enfant pour que les consciences s'éveillent et que l'avalanche d'informations sur les migrants d'ici et d'ailleurs redouble d'intensité. La NR s'en fait régulièrement des gorges chaudes, sans que cela soit toujours à bon escient, avec la gourmandise de celui qui s'est vu offrir une boîte de friandises inattendue.

     Les radios et télés de France comme de Navarre ont fait chauffer les GPS pour parvenir dans ce trop mal appelé "Nord Vienne" quand on ne sait pas autrement situer Loudun. Tout le monde y va de son reportage d'avant ou pendant (mais il y aura fatalement un "après") l'installation des demandeurs d'asile.

     J'ai déjà dit et écrit mon souci d'accueillir avec bienveillance et courtoisie tous les locataires de cet ancien bâtiment AFPA. Je pense d'ailleurs qu'on pourrait organiser un jeu pour le baptiser d'un nom original qui lui serait propre et évocateur. Cette prise de position m'a valu d'être occasionnellement interrogé sur ce sujet. J'y souscris parfois ce qui déclenche de nouveaux déluges de sottises sur le blog (je suis indulgent avec leurs auteurs quand je parle de sottises) voire de mots dans ma boîte à lettres.


     Cela étant, il faudrait bien que la sérénité revienne sur le quartier de Grillemont et dans notre cité. C'est un peu contradictoire de dire cela en acceptant de s'exprimer publiquement mais, désormais, nous avons besoin de calme. Nos nouveaux voisins, ces résidents qui ont fait un si long et si périlleux voyage viennent de trouver un endroit où poser non pas les valises qu'ils ont rarement mais tout simplement leur existence. Seuls ou en famille, ils prennent leurs repères, découvrent un nouvel environnement. Maintenant à moitié occupée la bâtisse naguère désertée revit au rythme des arrivées, des rires et des jeux d'enfants, des échanges entre ses occupants. Sans doute évoquent-ils entre eux leurs différents chemins de croix dont ils ne sont guère diserts avec nous.

     Les contacts directs avec les tout premiers arrivés se sont noués autour de la remise de cartables, de quelques jouets, de cahiers et de crayons pour les futurs nouveaux écoliers du Martray. L'occasion de constater une fois de plus que le sourire est un langage universel. Il remplace les mots qu'on ne peut échanger quand on les croise, dans l'attente qu'ils s'acclimatent à notre langue. C'est maintenant par le biais des associations qu'il est possible d'apporter notre contribution, qu'elle soit matérielle ou intellectuelle. Comme pour toutes les personnes en difficulté dans le Loudunais, on tente de leur trouver ce que leur maigre pécule ne leur permet pas d'acquérir et c'est surtout en direction des petits que le besoin se fait sentir. 

     Pour les aînés, ceux qui sont  scolarisés à l'Ecole du Martray, c'est déjà autre chose. Des liens se tissent avec des camarades de classe, avec d'autres enfants du quartier et ils seront le ciment de ce bien vivre ensemble que nous appelons de nos vœux. Ils sont encore à l'abri des préjugés  colportés par les adultes, des craintes infondées, de l'ostracisme inutile.

     Et puis il y a Mohamed. Lorsque nous avons accueilli quelques personnes au CMVL (Collectif Mobilier et Vestimentaire du Loudunais)  afin qu'Yvan Duballet puisse leur proposer les cartables disponibles, une petite voix s'est faite entendre: "T'aurais pas un vélo?" 
     "Que veux-tu faire d'un vélo? " lui ai-je demandé.
     "Pour aller à l'école"
     "Tu ne crois pas que tu exagères un petit peu? L'Ecole se trouve juste derrière l'endroit où tu habites"

     "Oui mais moi j'ai dix ans et demi et je vais au collège"
     Non d'une pipe! Je ne l'avais pas imaginé si avancé dans son cursus. Son  papa qui l'accompagne me le confirme dans un anglais que je devine plus que ne comprends. L'ennui, c'est qu'il n'y a pas de vélo d'enfant sur le site. On lui explique qu'on va se mettre en quête d'en trouver un et qu'on lui fera signe. 

     Le dimanche suivant, notre association de quartier organisait son traditionnel vide greniers. Parmi les visiteurs, on reconnait quelques locataires d'ADOMA dont Mohamed et son papa qui viennent à notre rencontre pour nous saluer. Plus tard, dans la journée, on les verra ressortir, le fiston grimpé sur un mini-vélo blanc sans doute plus coté à l'argus. Je crois savoir qu'ils n'ont pas été de très bons négociateurs et qu'ils l'ont payé un bon prix. 
     Dommage.  
    Depuis, presque chaque jour, je vous passer Mohamed devant la maison, juché sur son destrier plus proche de Rossinante que de Tornado mais fier comme un chevalier de la Table Ronde. Il me fait bonjour d'un grand signe de la main et le ponctue d'un si large sourire qu'il  referait le plein de bonne humeur au plus taciturne d'entre nous. 

     C'est déjà une victoire.














1 commentaire:

  1. Je viens de découvrir un peu par hasard ce blog.
    Merci pour cette beau témoignage qui fait chaud au coeur
    Annie Raimbault

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