Des FJ au FN

Certains week-end sont bizarres, non?

Prenez le dernier. C'est un peu comme une cuvée très spéciale que l'on déguste au hasard d'un congé de fin de semaine. Ça démarre plutôt bien, même si la robe est grise comme le temps et  les saveurs disparates autour d'une "Fête des Voisins" que l'on a connue plus fréquentée. 

Le deuxième verre, dégusté à l'Espace Culturel, est franchement plus que gouleyant. C'est pétillant à souhait. On enfile les rasades sans modération, sans souci de l’alcootest et on en redemande.

Il faut dire que les serveurs sont exceptionnels. Les "FJ" (les "Fouteurs de Joie") nous entraînent dans une dégustation  de leur nouveau millésime comico-iconoclaste. 

Les qualificatifs vont manquer pour dire combien les spectateurs ont apprécié les odeurs d'impertinence, les goûts de fruits défendus, la résurgence des terroirs, les couleurs vives et les parfums entêtants.

C'est bien connu, les grands crus ne rendent pas malades (si, c'est vrai et puis, ça m'arrange de le dire). Le samedi permet de se remémorer ce moment privilégié et de reprendre contact avec une réalité plus inquiétante,  le scrutin du lendemain.

On vient tout juste de recevoir les professions de foi et on s'interroge. Il n'y a que onze bulletins pour 25 listes annoncées. 

-Oui, m'explique-t-on, mais certains groupes n'ont pas les moyens de faire imprimer et il faut télécharger documents et bulletins de vote sur internet.

Ce n'est pas très sérieux. Cette consultation est déjà si peu prisée des électeurs ne va pas en sortir grandie en admettant à l'épreuve du scrutin des groupes voulant se faire élire pour détruire l'Union Européenne. Ce sont les 'Marcel Barbu' de la présidentielle de 65. Je me pose sérieusement la question du choix à faire.La liste socialiste m'embarrasse. Les déceptions successives de ce parti commencent à s'empiler et, comme si cela était utile, il a fallu que S. Royal pèse sur sa composition pour imposer une copine à la place de Bernadette Vergnaud qui était tout à fait fondée à vouloir accomplir un mandat supplémentaire. Je vais encore hésiter jusqu'à l'isoloir.

Cependant, le plus triste restait à venir. Une fois les urnes débouchées, il fallait en ingurgiter le contenu.Plus rien à voir avec des effluves printanières, champêtres ou de sous-bois. L'odeur est fétide, le goût s'apparente à de la suie, comme si l'on avait ouvert l'urne funéraire contenant les cendres de la démocratie. Rapidement, les premières centaines indiquent l'ampleur de la catastrophe et j'ai de plus en plus de difficulté à répéter le nom de cette tête de liste qui revient plus d'une fois sur quatre. Je finis par regarder mes collègues de dépouillement et pense, qu'à cette table, l'un d'eux peut statistiquement avoir glissé un bulletin FN.
A la mairie, les portables s'agitent et annoncent un 25% national. Le résultat final de Loudun fait mieux avec 27.22%. Le lendemain on s'apercevra que le canton à donné 29.95% à Lebreton, les autres communes s'étant emballées avec, par exemple, 35.94 à Beuxes ou 37.67 à Mouterre.
On admet la ruralisation du Front National mais personne ne sait l'expliquer. On est bien loin des votes protestataires de jadis et même l'élection de Chirac naguère, avec son second tour contre le vieux Le Pen, fait figure de plaisanterie de potache. Ce qu'il ne faisait pas, sa fille l'ose et ça marche: elle se prétend capable de diriger le pays, de gouverner. On entend désormais, sans retenue, ses supporters exiger qu'on en fasse l'essai puisque les autre s'en sont montrés incapables. Le crédit croissant accordé à cette faction est bien le plus inquiétant et les deux mouvements traditionnels, gauche comme droite, ensevelis sous les casseroles qui leur tombent sur la tête à chaque fois qu'ils ouvrent une porte, sont complètement dépassés par cela.

Entre 8 mai et 6 juin, ce résultat conduit  à se demander à quoi aura servi le sacrifice de nos aînés. Tant de vies pour combattre le fascisme et ses tentacules, l'antisémitisme, le racisme, l'homophobie, la xénophobie...

Reviens, Jaurès, ils sont devenus fous.